« Il y a le froid, et puis il y a le froid en moto. Avoir froid en moto, c’est comme se faire frapper par de froids marteaux tout en prenant des coups de pieds de bottes froides, c’est un froid qui vous brise les os.
Les grandes mains du vent pressent la chaleur hors de mon corps et le balayent d’un revers ; piégé par une pluie froide d’octobre, les gouttes ne ressemblent pas à de l’eau. Elles sont comme des tessons d’os tombés des cieux de l’enfer pour me transpercer le visage.
J’attends d’arriver avec mes joues et mon front maculés de sang, mais ce n’est qu’une illusion, la misère d’un système nerveux qui n’est pas conçu pour des vitesses d’autoroute.
Malgré cela, il m’est difficile de renoncer à ma moto à l’automne, et je me presse de la remettre sur la route au printemps ; de tels moments de folie sont normaux parmi les motards. Quand vous introduisez une moto dans votre vie vous êtes changé à tout jamais.
Les lettres « MC » sont inscrites sur votre permis de conduire à côté de votre sexe et votre poids, comme si « motocyclette » était un autre de vos traits physiques, ou peut-être bien une condition mentale. Mais quand finalement arrivent les beaux jours, toutes les gouttes froides et les averses sont remboursées intégralement, car un été n’a pas de prix.
Une moto n’est pas simplement une voiture à deux roues ; la différence entre conduire une voiture et chevaucher une moto est comme la différence entre regarder la télévision et vivre votre vie. Nous passons tout notre temps enfermés dans des boites, et les voitures ne sont que les boites roulantes qui nous passent de la boite-maison à la boite-boulot puis à la boite-supermarché et retour ; tout le temps englouti dans de l’air rance, avec une température régulée, isolés du bruit, et dans l’odeur de tapis. Sur une moto, je sais que je suis vivant.
Quand je pilote, même le quotidien me paraît étrange et glorieux. L’air a du poids et de la substance lorsque je le pourfends, et son toucher est aussi intime que celui de l’eau pour un nageur. Je sens les masses d’air froid qui stagnent sous les arbres et les et les rayons chauds du soleil qui les transpercent. Je vois tout dans un arc de 360 degrés, en haut, en bas et tout autour, plus large que le Pana Vision et que l’IMAX, et sans les restrictions d’un plafond ou d’un tableau de bord.
Parfois j’entends même de la musique. C’est comme entendre des téléphones fantômes sous la douche, ou de fausses sonnettes quand on passe l’aspirateur ; le cerveau, féru de logique, cherche des signaux dans le bruit, fait surgir des présences acoustiques du rugissement de l’air. Mais en moto j’entends des chansons entières : du rock’n’roll, de sombres orchestres, des chœurs de femmes, toutes cachées dans l’air et libérées par la vitesse. A partir de 50 kilomètres à l’heure, les odeurs deviennent étrangement vives. Toutes les senteurs uniques d’arbres, de fleurs et d’herbes volètent tels des notes chimiques d’une immense symphonie végétale.
Parfois les odeurs évoquent des souvenirs si puissants qu’il semble que le passé flotte, invisible, dans l’air qui m’entoure, ne voulant que la plus rudimentaire des machines à remonter le temps pour le déverrouiller. La quantité et la variété des stimuli sont un bain pour mon système nerveux, un massage électrique pour mon cerveau, une révision de systèmes pour mon âme.
Cela m’arrache des sourires : il y a un instant, j’étais maussade, déprimé, apathique, insensible ; mais maintenant, sur deux roues, de grands sourires ébouriffés battent contre mes joues, émanant de moi tel l’air d’un avion en décompression. Le transport n’est qu’une fonction secondaire.
Une moto est une machine à plaisir. C’est une machine merveilleuse, un oiseau de métal, une prothèse motorisée. Elle est claire et sombre et brillante et crasseuse et chaude et froide tout à la fois ; c’est un conduit de grâce, un catalyseur pour joindre le graveleux et le sacré. Je me considère encore comme un poireau de la moto, bien que j’ai eu une flopée de bécanes au cours d’une demi-douzaine d’années et que j’ai dormi sous des ponts plus d’une fois. Je n’échangerais pas une seconde des bon temps ou de la misère.
Apprendre à faire de la moto est une des meilleures choses que je n’ai jamais faites. Les voitures nous mentent et nous disent que nous sommes en sécurité, puissants dans notre maitrise. Les turbines de la climatisation murmurent de fausses assurances et chuchotent, « Dors, dors ». Les motos nous racontent une vérité plus utile : nous sommes petits et exposés, roulant probablement plus vite qu’il le faut, mais ce n’est pas une raison pour ne pas apprécier chaque minute du parcours. »
Auteur anonyme.
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